Le Blog Documentaire aime bien Narrative. Parce que les projets qui y naissent prennent le temps de mûrir. Parce qu’au-delà de la « bulle webdoc » qui en enthousiasme beaucoup, les deux productrices pensent d’abord à la façon d’utiliser le web pour proposer une redéfinition de la narration, de la réalisation aussi… Expérience in vivo avec Un été à Alger, sorti ce dimanche 24 juin, qui expérimente la réalisation décentralisée à plusieurs mains…

Prendre des nouvelles de Narrative, c’est d’abord savoir patienter. Les projets mûrissent et prennent le temps de pousser, comme une plante qu’on cultive. Alors, en quête de scoop, on repart davantage avec l’idée que le temps est indispensable à la création autant sur le web que sur d’autres supports. Que l’œuvre qui arrivera aura l’arôme de cette gestation lente. Tout le pedigree par exemple d’Un été à Alger, qui est sorti ce dimanche 24 juin après de longs mois de développement.

D’abord prévu pour raconter un printemps algérien qui n’a pas connu les soubresauts égyptien ou tunisien, le projet s’est déporté sur l’été, celui qui, opportunément, tombe l’année des 50 ans de l’indépendance. « Ce n’était pas l’objectif de se dire : « tiens, c’est les 50 ans, on va faire quelque chose »« , précise Cécile Cros, la membre la plus loquace du duo des productrices qui ont initié sur le projet. Manière de dire que le projet préexistait à l’attrait de la date anniversaire. Les deux réalisatrices françaises, Aurélie Charon et Caroline Gillet, avaient déjà défriché le terrain documentaire pour France Inter en 2011. L’idée, dans les tuyaux tout au long de l’année 2011-2012, a donc pris le temps de germer, dans un monde où la rapidité de mise en ligne des projets et l’attrait de la nouveauté intrinsèque, induite par le webdoc, font parfois office d’arguments.

Un été à Alger apporte d’abord un nouvelle expérience au visionnage : à l’heure du « délinéarisé » à outrance, Narrative expérimente ce qu’on appellera le webdoc « alterréalisé ». Ici, la réalisation n’est pour une fois pas l’apanage d’un réalisateur unique, mais bien de quatre regards algérois, très indépendants des deux réalisatrices françaises qui sont au départ du projet. Trop souvent, on a vu le réalisateur français partir caméra au poing (ou équipe dans les bagages pour des productions plus charnues) aux quatre coins du monde pour revenir avec ses images et son regard qui, même avec la meilleure volonté possible, sera toujours quelque peu ethnocentré (sauf peut-être avec Défense d’afficher), Ce final cut français sur le projet, « n’avait pas vraiment de sens« , dixit Laurence Bagot, la seconde du duo, penchée sur son ordinateur pendant que je discute avec Cécile. « L’intérêt était justement d’avoir ce point de vue de jeunes réalisateurs algériens, de sentir la façon dont ils font vivre la ville« . Le résultat laisse beaucoup moins la place à la connaissance informative d’Alger qu’à son évocation sensorielle, par le biais de quatre tableaux qui dévoilent autant d’univers.

Les quatre réalisateurs algérois viennent chacun d’horizons divers : fiction pour l’un, vidéaste et plasticienne pour l’autre, documentaire pour un troisième… Chaque projet parle d’une ville qui, malgré la bonne volonté, déborde de clichés. Yannis Koussim par exemple filme la nuit d’Alger. « Un vide étrange, un vide soi-disant plus fort que, disons, le Puy-en-Velay la nuit« , commente Cécile dont le visage s’éclaire dès qu’elle parle du parti-pris du réalisateur : « Il pousse les portes, fait découvrir la nuit d’Alger telle qu’il la voit, du début de la nuit décrétée par l’imam et l’appel à la dernière prière au premier métro, nouvellement créé« . Amina Zoubir, plasticienne, réalise davantage des actions, des performances tendant à éprouver la nature du rapport homme/femme, fortement intériorisé, en effectuant elle-même des actions habituellement « réservées » aux hommes. Chez nos deux productrices, s’exprime une curiosité débordante pour une ville, tantôt vide de ses femmes (à l’extérieur), tantôt « Alger la blanche », comme on l’appelait pour désigner son caractère haussmannien de l’époque coloniale… mais qui n’est pas non plus que cela. L’interface s’ouvre sur la cour d’un café qui, de l’avis des réalisateurs locaux, symbolise bien Alger : une oasis plantée au milieu d’immeubles anciens, abritant des arbres à l’ombre desquels ça discute ou ça joue… Un aspect à la fois paisible et vivant, extérieur (opposé à nos vies d’intérieur) et presque nonchalant.

Quatre univers donc qui, chacun cherchant à faire sentir une identité, donne une couleur d’Alger. Narrative porte son nom comme un étendard : de vraies histoires neuves à raconter et une façon à la fois parcellaire et sensible de découvrir une ville. Car ce « portrait d’une ville » n’emprunte rien au côté volontiers pratique de la cartographie qui permet de se déplacer d’un point à l’autre, créant l’illusion d’une connaissance parfaite, un peu comme un Lonely Planet parle des endroits à ne pas rater. Un été à Alger se permet d’oublier d’autres atmosphères de la ville, s’autorise la non-exhaustivité pour mieux se concentrer sur quatre points de vue, et quatre dispositifs web foncièrement différents les uns des autres : le quartier de Cervantès vu le long de son périphérique, vertigineuse montée et sensation physique du déplacement… Ou à l’inverse, Lamine Ammar-Khodja filmant sa fenêtre, et lui à sa fenêtre, simplement comme le temps, parfois, passe à Alger. On quitte les schémas intériorisés d’une bonne narration « à la française » pour pénétrer l’univers singulier de ces artistes de l’autre rive qui, pour une fois, ne donnent pas l’impression d’être « encadrés » par une équipe française.

Certes, le projet avait un cadre global, qu’il fallait tenir pour diffuser l’œuvre, et remplir la contrainte de départ : une narration en épisodes qui s’étend sur six semaines de l’été. En parallèle du développement avec les deux réalisatrices françaises, Narrative organise pour CFI des ateliers de formation en Algérie avec de jeunes réalisateurs. La formation sert incidemment à travailler les intentions, et à « hyper-écrire les projets« . Les quatre auteurs algérois s’y joignent, et personnalisent la narration propre à leur univers. Si l’imprévu est de mise puisque, comme le dit avec un brin d’angoisse dans la voix Cécile, « à J-9 du lancement (l’entretien datait du 15 juin), on n’a toujours pas les images des épisodes !« . Narrative n’a donc pas lésiné sur le travail préparatoire. Hassen Ferhani (le réalisateur du module sur le quartier de Cervantès) s’orientait au début sur une narration classique, à base de portraits. « Et puis, un jour il est venu chez nous en disant « Ça y est, j’ai trouvé ! ». Il allait parler du quartier en fonction de la réalité et des mythes qui lui sont attachés« . Le travail se fait à coups de révélations, de temps consacré à « l’objet web » façonné. C’est l’un des marqueurs de Narrative, qui ne sur-investit pas l’espace médiatique, mais travaille patiemment sur ses projets.

Aujourd’hui en ligne, Un été à Alger n’en est qu’à sa première étape. « On voulait tenter ce vrai risque du live« , confie Cécile qui explique que les vidéos des réalisateurs seront ajoutées chaque semaine et non chaque jour, « car on ne voulait pas faire une promesse qu’on pourrait ne pas tenir. Parfois à Alger, il y a un jour sans Internet, et ça peut n’être rétabli que le lendemain« . La vidéo d’accueil de l’interface promet de s’actualiser à peu près par rapport à l’heure à laquelle on se connecte (traduction : si vous vous connectez chez vous à midi et à minuit à Paris, vous aurez droit à une vidéo tournée à midi et à minuit à Alger). Excellent moyen d’aller piocher, comme on consulte de temps en temps un beau livre de voyages, dans ce documentaire à plusieurs mains, qui va jouer l’illusion du temps réel pendant tout l’été.

Nicolas Bole

Plus loin

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No Comments

  1. SVP je suis un des jeunes que vous avez rencontrez à la cité 1010lg HAI EL BADR  »mitro » à minuit ,en effet je cherche toujours la vidéo ou bien l’interview sur le Mitro Alger et je ne l’ai pas encore trouvé malheureusement , quelqu’un de vous pourra m’aider ou bien me la partager sur facebook ou sur mon e-mail

  2. Yanis Koussim

    Salut Sahbi,
    C’est moi qui vous ai filmé. Je suis venu plusieurs fois a Haï El Badr, mais je ne vous ai pas trouvé!
    En ce moment, vous passez sur TV5MONDE mais sinon, vous pouvez voir la video sur Dailymotion, en tapant: KOUSSIM YANIS Épisode 2.
    Yanis

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