Incontournable rendez-vous automnal dans le monde du documentaire (interactif), l’IDFA s’est tenu à Amsterdam du 16 au 27 novembre. Un festival toujours aussi convaincant, avec son lot de surprises et de découvertes. Parmi les tendances qui se confirment cette année, l’émergence incontournable de la réalité virtuelle. Elisabeth Meur a relevé cinq propositions intéressantes dans ce domaine. Revue de détail.
Ce dimanche 22 novembre se tenait dans le cadre du Festival International du Film Documentaire d’Amsterdam (IDFA), la conférence annuelle Doclab : Seamless Reality, dédiée à la webcréation et aux productions interactives. En attendant la rediffusion de celle-ci qui sera prochainement disponible sur le site du festival, voici une première sélection de ce qu’il ne fallait pas manquer parmi l’exposition – ouverte aux visiteurs pendant toute la durée de la manifestation.
Au cœur du DocLab cette année, la réalité virtuelle. C’est probablement parce que je n’ai pas encore expérimenté beaucoup de dispositifs que j’éprouve encore une certaine surprise à chaque fois que je m’enfonce un Oculus Rift sur la tête : celle de m’habituer si rapidement à cette nouvelle réalité qui se superpose à la mienne, d’éprouver des émotions intimes telles que l’intimidation quand je me retrouve nez à nez avec un soldat israélien que je sais pourtant être une modélisation 3D. Je suis bluffée. Est-ce une bonne nouvelle pour le genre documentaire ou la transmission de l’information de manière plus générale ? Ma fascination pour ce que je perçois comme une prouesse technique agit comme une barrière par rapport aux contenus qui me sont soumis – ou auxquels je me soumets. Alors que l’industrie s’émerveille de ce nouveau champ d’action où tout semble possible, la réalité virtuelle suscite un engouement timide auprès du public parce que les effets qu’elle produit sur nous sont quasiment instinctifs – de nombreux réalisateurs s’associent d’ailleurs avec des experts en neurologie pour étudier les réactions de notre cerveau à ces univers immersifs. La sensation de perdre le contrôle est palpable, mais n’est-elle pas similaire à celle des premiers spectateurs des Frères Lumières qui s’écartaient pour laisser passer les trains qui défilaient à l’écran ? Même s’il me semble important d’appliquer une pensée critique par rapport à ce nouveau média – comme il conviendrait de le faire pour chaque média – j’avoue avoir ressenti beaucoup d’enthousiasme face aux différents projets que j’ai eu l’occasion de tester la semaine dernière. Dans certains cas, comme celui de la reconstruction de Mosul, c’est à la démarche plus qu’au résultat qu’il faut s’intéresser ; dans d’autres, la véritable expérience apparaît une fois que l’on ôte ses lunettes : dans Jusqu’ici, le contraste entre la liberté que l’on peut éprouver à parcourir cet espace si poétique fait amèrement contraste avec le retour à la vie hors-ligne. Dans le cadre d’une démarche documentaire, la réalité virtuelle m’apparait comme un outil supplémentaire pour penser notre rapport au monde et aux autres qu’il serait évidemment dommage de bouder.
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The Enemy – Karim Ben Khelifa
France / Canada
VR
« L’ennemi est toujours invisible. Lorsqu’il devient visible, il cesse d’être l’ennemi ». À travers son projet qu’il décrit au croisement des technologies, de la science et du journalisme, Karim Ben Khelifa réalise ce qu’on pourrait désigner comme un tour de force : rassembler dans une même pièce un Palestinien et un Israélien et les amener à dialoguer. Dans cet échange, l’utilisateur devient le point d’intersection. Passant d’un camp à un autre, nous nous confrontons à la présence des deux protagonistes, qui exposent tour à tour des points de vue qui n’ont rien d’antagoniste et nous comprenons qu’une fois dépassées les narrations partisanes qui tendent à déshumaniser l’ennemi, celui-ci qui se révèle être plutôt un voisin.
L’installation visible à l’IDFA n’est à l’heure actuelle qu’un prototype. Karim Ben Khelifa a l’intention de transposer son dispositif à d’autres pays en proie aux conflits, comme la République Démocratique du Congo, le Salvador ou encore les Corées du Nord et du Sud. Au cœur du projet, le désir d’amener les populations concernées à prendre part à l’expérience.
En savoir plus : theenemyishere.org/fr/
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Life on Hold – Reem Haddad, Dima Gharbazi Shaibani
Qatar
Webdoc
“Qu’est-ce qui vous manque le plus de votre vie d’avant ?” Pour le million de réfugiés syriens vivant aujourd’hui au Liban, un pays où ils représentent désormais un quart de la population, il y a un « avant » et un « après ». À travers 10 portraits, des femmes, des hommes et des enfants parlent de leurs projets abandonnés, de leurs amis perdus, de cette nouvelle vie où le temps semble suspendu mais aussi de ces rêves auxquels ils s’accrochent comme à des bouées.
Au cours de son expérience, l’utilisateur peut laisser des messages de soutiens aux divers protagonistes, rassemblés sous la forme d’un mur étoilé.
Découvrir le projet : lifeonhold.aljazeera.com/
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Jusqu’ici – Vincent Morisset
France / Canada
VR
Rien ne sert de courir – et même quand on croit apercevoir le bout du tunnel, ce n’est parfois que le début pourrait-on ajouter. Vous vous étiez peut-être déjà perdu dans la version web, vous comprendrez donc mon impatience de me plonger dans la version VR [Virtual Reality, NDLR]. Munis d’un petit joystick qui permet à notre avatar de courir et de sauter, l’immersion dans un univers qui se révèle de moins en moins familier est progressive. Nos sens sont eux de plus en plus sollicités et on se laisse finalement emporter par la sensation de flotter dans un océan de couleurs, balancé par le rythme des percussions. On en perd la notion du temps.
Découvrir le projet : jusqu-ici.com/
Entretien avec Vincent Morisset ici.
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RecoVR : Mosul, a Collective Reconstruction – Ziv Schneider, Laura Chen
USA
VR
Quand tu allais, on revenait. À l’heure où François Hollande entend donner “le droit d’asile” aux patrimoines archéologiques syriens et irakiens, Ziv Schneider et Laura Chen ont déjà permis à la ville de Mosul de renaître virtuellement de ses cendres. Occupée depuis juin 2014 par l’État Islamique, la ville rassemblait plus de 3.500 sites archéologiques dont le saccage soigneusement filmé n’avait laissé personne indifférent. S’appuyant sur un travail de crowdsourcing considérable, les deux artistes ont modélisé les œuvres désormais détruites pour permettre à l’utilisateur de devenir le visiteur d’un musée qui coupe l’herbe sous le pied à la stupidité des hommes. Petite consolation.
En savoir plus : http://www.doclab.org/2015/recovr-mosul-a-collective-reconstruction/
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Network Effect – Jonathan Harris, Greg Hochmuth
USA
Expérience interactive
Network Effect, c’est une expérience extrême de notre rapport à l’information, une boulimie de données pourtant cadrée puisqu’un temps de visite limité est accordé quotidiennement à chaque utilisateur, en fonction de l’espérance de vie estimée dans son pays. Je me suis connectée depuis les Pays-Bas, j’ai donc eu droit à une expérience intense de 8 minutes et 5 secondes, la population vivant en moyenne 79,5 années. Balancés de thématiques en thématiques dans cette jungle du tout et du rien, nous sommes soumis à un flux cadencé de vidéos de baisers, de chanteurs amateurs, de crises de nerfs orchestrées. On apprend par le biais des recherches associées que la réponse la plus populaire à la dépression est le Valium, que c’est un mot-clé plutôt tendance selon Google et que les hommes pleurent aussi – mais représentent seulement 22% des occurrences.
Découvrir le projet : networkeffect.io/
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