Le Sunny Side de La Rochelle est toujours l’occasion de faire un état des lieux de la création audiovisuelle, et parfois de constater un passage de témoin. On relèvera deux évènements dans l’édition 2019 : la grand raout de Netflix et l’ouverture au grand public d’un festival d’installations numériques.

Il y avait de sacrées nouveautés à La Rochelle cette année. Si. Par exemple, Diego Buñuel n’est pas venu faire une présentation fracassante du line-up documentaire de Canal+, comme il l’a fait régulièrement suite à sa nomination à la tête des docs de la chaîne cryptée en 2014. Non, cette année Diego Buñuel est venu faire une présentation fracassante du line-up documentaire de… Netflix, chaîne qu’il a rejointe avec armes et bagages en 2018. Et l’évènement était tellement couru que les organisateurs ont dû lui demander de répéter l’exercice pour un deuxième amphi aussi garni que le premier. Netflix est le futur de la télé : si l’on continue à répéter inlassablement ce mantra, il va finir par devenir vrai.

Il est d’ailleurs piquant de constater que l’année où France Télévision a définitivement mis fin à l’aventure des « Nouvelles écritures » (son département consacré à l’expérimentation interactive sous toutes ses formes a été dissous dans le groupe), Netflix a fait sensation dans la communauté numérique française en mettant en ligne… une fiction interactive : Bandersnatch, épisode de la série Black Mirror, est sur toutes les lèvres depuis sa sortie fin 2018. Les expérimentations participatives de la chaîne américaine finiront-elles un jour elles aussi englouties dans le cimetière du web ? Possible. Mais il se pourrait aussi que Netflix, cette télé web-native, se prépare à réaliser quelques-uns des rêves les plus fous des créateurs numériques… Si l’on en croît les indices que l’on peut glaner ici où là, après avoir annoncé son intérêt pour le jeu vidéo, Netflix pourrait part exemple mettre en ligne des expériences de réalité virtuelle…

Jean-François Augé / StudioOuest.com

Pendant que les télévisions hertziennes continuent de se demander comment elles vont survivre à l’avènement des Millenials, et plus tétanisant encore, à la génération d’après, les producteurs numériques, eux, ont commencé à aller voir ailleurs. Ils se reconvertissent à vitesse grand V en experts de l’installation (numérique) in situ. L’un des grands mérites du Sunny Side est d’avoir suivi cette évolution de très près, au point d’en devenir l’un des catalyseurs.

De fait, il y avait au moins une autre nouveauté au Sunny Side 2019 : les organisateurs ont choisi de créer, au sein de PiXii, la section numérique du marché, un événement ouvert au grand public. Le PiXii festival accueillait cette année une sélection d’installations numériques (voir notre entretien avec Christophe Salomon) s’appuyant pour l’essentiel, sur des dispositifs immersifs. A croire que les organisateurs avaient à cœur de battre en brèche un conclusion un peu hâtive : la réalité virtuelle serait une technologie réservée à des happy few ayant les moyens financiers et un esprit suffisamment « geek » pour s’équiper de masques VR bien trop coûteux pour attirer une audience plus large. Or, lorsque les narrations immersives investissent les arcades, les musées, les théâtres, voire les rues de la ville ou la place du village, le public est au rendez-vous.

Alors que pouvait-on expérimenter au PiXii festival ? Sur le plan des genres abordés, le visiteur pouvait d’abord se plonger dans l’Histoire avec un grand H, avec un focus sur les deux guerres mondiales (11 11 18, Les films de la récré ; Apocalypse : 10 destins VR, ECPAD ; Les murs parlent, Picseyes), mais aussi le grand siècle (Parcours sonores immersifs du château de Vaux le Vicomte, narrative), ou encore la Conciergerie sous l’ancien régime (Histopad Conciergerie).

Deuxième volet thématique : le monde du vivant. Imaginez que vous voyez le monde à travers les yeux d’un crocodile. La ligne de flottaison est juste devant vous. Baissez la tête, et voilà que vous plongez sous la surface, à admirer la flore d’un fleuve tropical. Tumucumaque (Media foundation, Film tank et Artificial Rome) propose ainsi plusieurs immersion dans le monde des grenouilles venimeuses, des tarentules ou des chauve-souris. Et c’est réussi.

Jean-François Augé / StudioOuest.com

Troisième volet enfin : les arts et la culture. La série ARTE Trips sur la peinture en VR, de la chaîne franco-allemande pionnière à bien des égards des narrations immersives et de leur mode de diffusion, ne pouvait manquer à l’appel. Et c’est d’ailleurs Claude Monet, l’obsession des Nymphéas (Lucid Realities) qui a remporté le prix du PiXii festival. Dans les travées de l’événement, cette expérience voisinait l’igloo qui abritait -22°7 (ZORBA), l’un des trois opus VR que Jan Koonen a donnés à voir cette année ; soit un voyage initiatique aux sources de la création musicale, inspirée des expérimentations que le musicien électronique Molécule a réalisé dans le grand Nord.

Du côté des dispositifs, les grands axes des narrations immersives étaient représentés, avec un léger avantage pour les masques de réalité virtuelle. Côté réalité augmentée, les dispositifs étaient remarquablement variés, de la « simple » application pour tablette (Histopad) jusqu’à des attractions spectaculaires comme Time travelers, un expérience conçue pour une Fiat Panda rouge et un écran de rétrogaming (l’utilisateur grimpe dans la Panda, regarde la route sur l’écran et vit toutes secousses en live). Les organisateurs ont voulu inclure aussi des dispositifs plus expérimentaux, qui pourraient proposer une alternative aux écrans (P.R.I.S.M., Anima Lux) ou inventent une relation sensuelle et tactile aux données (Tamed Cloud, Spatial media group).

Au total, Pixii proposait un éventail stimulant, parfois captivant, d’installations numériques. Reste cependant une interrogation. Si le marché de la production numérique s’oriente de plus en plus vers les partenariats avec les musées, à quelle condition ce nouveau marché peut-il être un creuset de création de véritables œuvres d’art numérique ? De ce point de vue, l’édition 2019 de PiXii, mêlant indifféremment dispositifs de médiation culturelle, supports pédagogiques et propositions artistiques fortes, montrait tout le chemin restant à parcourir pour que la création numérique deviennent une industrie à part entière.

Xavier de la Vega*
*L’auteur de ses lignes présentait à PiXii l’expérience de réalité virtuelle Les murs parlent (Judith Depaule, Picseyes 2019).

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