C’est un événement culturel qui devrait être sur tous les radars des amateurs du genre. Le Festival International du Film documentaire Océanien (FIFO) se tient à Tahiti du 4 au 12 février. Une manifestation qui se mérite, mais qui vaut vraiment le prix du déplacement… Première étape de notre immersion polynésienne.
Venant de Paris, vous aurez largement le temps (22 heures de vol environ) pour nouer connaissance – si ce n’est déjà fait – avec le cinéma polynésien. Ce qui tombe plutôt bien puisque les éditions de l’Harmattan viennent de sortir une Petite histoire du cinéma en Polynésie française, ouvrage riche et rare signé Marc Emmanuel Louvat qui retrace, des origines jusqu’à la fin des années 1980, l’odyssée du 7ème Art dans cette partie du monde. Films ethnographiques, fictions, actualités, téléfilms, productions amateurs et documentaires d’initiatives locales… L’auteur, responsable des fonds audiovisuels à l’Institut de la Communication Audiovisuelle de 2003 à 2011, a « cherché, rapatrié, visionné et restauré des centaines d’heures de films » pour dresser ce panorama inédit. En s’attachant aussi bien aux grands noms du cinéma (Flaherty, Murnau, Méliès, etc.) qu’aux films oubliés, il dépeint dans son livre un paysage audiovisuel qui, petit à petit, a permis aux Polynésiens de « ne plus être de simples spectateurs, mais des conteurs de leurs propres histoires ».
D’une certaine manière, le FIFO s’inscrit dans ce sillage et poursuit cette aventure en devenir. Le Festival International du Film documentaire Océanien est un petit festival, mais un grand événement. Deux salariés à l’année, mais une armée de convivialité et de délicatesse pendant la manifestation pour vous guider dans les méandres de la programmation – et dans les embouteillages tahitiens. Un événement d’envergure régionale aussi (sachant que la Polynésie est aussi vaste que l’Europe), qui fait briller les films documentaires produits dans le Pacifique et qui attire de nombreux publics, jeunes et plus âgés, curieux et avides de narration du réel autant vues comme la possibilité d’un miroir que comme la promesse de l’altérité.
Au départ il y a 14 ans, la volonté de deux hommes : Walles Kotra, l’actuel directeur exécutif en charge de l’Outre Mer de France Télévisions, et Heremoana Maamaatuaiahutapu, aujourd’hui ministre de l’environnement et de la culture de Tahiti. Deux amis à qui il importe avant tout de souligner et de promouvoir la diversité de la Polynésie, de rendre visible l’Océanie d’Hawaï à la Nouvelle-Calédonie en passant par l’île de Pâques. Walles Kotra explique : « Le combat du FIFO, c’est une réponse aux inquiétudes des peuples du Pacifique, cette psychose du tsunami, cette peur de disparaître sous un flots d’images. Il s’agit de donner une résonance à nos petits chuchotements ». Heremoana Maamaatuaiahutapu, dans une version plus cash : « La mondialisation pose la question de la visibilité. Nos ancêtres communiquaient plus entre eux que nous aujourd’hui, alors que le numérique devrait faciliter les échanges. On sait désormais ce qu’il se passe partout dans le monde, mais pas aux Samoa, aux Fidji ou à Hawaï. Il est important de refonder ces liens du Pacifique. Et ce n’est pas parce que nous sommes petits qu’il faut fermer notre gueule. (…) L’Océanie n’est pas un concept, ni même une aire géographique : c’est une identité que nous revendiquons ». De son côté Miriama Bono, présidente de l’AFIFO, écrit : « Pas à pas, les images voyagent, les histoires de ces individus, disséminées sur des kyrielles d’îles, surgissent et rugissent. S’affirment, dessinent, tressent nos consciences océaniennes ».
Le FIFO, lieu de débats, de projections, de créations et de rencontres, est l’un des instruments de ces ambitions, et ces préoccupations irriguent manifestement les différentes sélections du festival – nous en reparlerons. Après avoir reçu entre 140 et 150 films, le FIFO présente cette année 14 films en compétition, en provenance de Polynésie française, de Nouvelle-Zélande, de Nouvelle Calédonie, d’Australie ou des États-Unis. Le président du jury, Stéphane Martin, actuel président du musée du Quai Branly à Paris, est un grand connaisseur de la région et du festival. Il explique : « Certains thèmes reviennent souvent dans les films (les essais nucléaires, les préoccupations environnementales, les questions d’identité) ; dès lors, c’est la forme qui prime, et les questions de cinéma qui devraient alimenter les débats du jury ». La rétrospective disponible sur place des films ayant obtenu le grand prix du festival ces années passées en atteste. Les festivaliers se souviennent encore avec émotion de Te Henua Noho, There once was an island (Briar March, Nouvelle-Zélande), primé en 2010, ou de Made in Taïwan (Dan Salmon, Nouvelle-Zélande), récompensé en 2007.
Le FIFO se veut aussi une passerelle entre les générations, comme entre les professionnels et les amateurs. Ces derniers sont invités à la séance de pitching, conviés également aux ateliers publics dédiés au sound design, aux effets spéciaux ou à la narration interactive. Ce sont aussi près de 4.000 élèves qui assistent aux projections pendant le festival ; 6.000 scolaires en tout qui sont touchés par ces films lorsque la caravane du festival part à la rencontre des publics au-delà de ses murs ; c’est-à-dire : dans les îles. 300 projections organisées dans les cinq archipels polynésiens l’an passé, et 8.000 personnes qui, au final, ont pu se confronter gratuitement à des documentaires. Une préoccupation partagée dans la région avec, par exemple, le festival Ânûû-rû âboro qui, lui aussi, part à la rencontre des tribus reculées de Nouvelle-Calédonie.
Ces deux initiatives, ces deux festivals sont primordiaux dans cette mission : montrer par l’exemple la richesse des écritures documentaires, sensibiliser à d’autres visions du monde, nourrir par la même un imaginaire différent, et commun. C’est en ce sens que se structure en ce moment même à Tahiti une initiative d’envergure pour fédérer, souder les festivals de documentaires en Océanie de sorte à en démultiplier l’impact. Regroupés au sein de PADISA (Pacific Documentary and Digital Storytelling Alliance), quatre festivals veulent unir leurs forces pour peser davantage dans le commerce mondial du documentaire, notamment face aux appétits asiatiques : Le FIFO, Ânûû-rû âboro, le Hawaii International Film Festival et le Documentary Edge Festival en Nouvelle-Zélande. L’ambition : construire une organisation équivalente à l’International Documentary Association (IDA) ou l’European Documentary Network (EDN). Après avoir signé un memorandum l’année dernière en Nouvelle-Zélande, les quatre partenaires se retrouvent à Tahiti pour commencer à imaginer la direction stratégique de la future organisation. Le but affiché, c’est de mieux connecter les puissances en présence, dans le linéaire comme dans l’interactif. On peut imaginer qu’ils puissent nouer des partenariats avec d’autres festivals internationaux, construire une vitrine du documentaire pacifique sur Internet ou encore coproduire des films. Ânûû-rû âboro, par exemple, est aussi une société de production qui a déjà permis l’éclosion d’une cinquantaine de documentaires en un peu plus de 10 ans d’existence. Mais tout reste à faire pour le PADISA, et c’est ce qui rend aussi le FIFO tout à fait passionnant d’un point de vue professionnel.
L’un des programmes sur lequel les acteurs régionaux semblent s’entendre, et qui en tout cas suscite un vif intérêt dans le colloque des télévisions organisé par le FIFO, c’est Génération What ?. Le producteur de Yami 2, Christophe Nick, est présent sur place pour rencontrer de futurs partenaires afin de lancer une version « Asie-Pacifique » du programme. Ce vaste dispositif documentaire tout entier tourné vers la jeune génération (18-34 ans) avait rencontré un vif succès en France, puis en Europe. Il se décline aujourd’hui en Polynésie et, d’une manière plus large, en Outre-Mer. Près de 20.000 participants à ce jour (à comparer avec une population globale de 2,5 millions d’habitants) dans 9 départements et territoires différents. Les déclinaisons/restitutions sur les antennes de France Télévisions en OUtre-Mer se tiendront en mars.
Ce programme « qui permet aux diffuseurs de se reconnecter avec la jeunesse » et qui dépeint finalement, toujours selon Christophe Nick, « la même génération au-delà des frontières ; les territoires sont différents, mais certains problématiques restent similaires », sera bientôt décliné dans les pays arabes de la Méditerranée (Maroc, Libye, Égypte, Jordanie, Palestine, etc.), mais aussi, espère t-il, sur l’ensemble des territoires du Pacifique (Nouvelle-Zélande, Australie, Inde, Japon, Indonésie, etc.). L’objectif, c’est 50 pays concernés par cette (très) large enquête sociologique d’ici à la fin de l’année, avec ce principe : les diffuseurs « riches » paient pour les télévisions plus pauvres. L’UNESCO apporte aussi son concours en Asie, et c’est l’Union Européenne qui a permis le développement de Génération What ? au Maghreb.
Aujourd’hui, on le voit et on le sent, le FIFO est un élément structurant du secteur, et une assurance pour les films polynésiens d’exister. Les autres acteurs régionaux (Nouvelle-Zélande et Australie en particulier) n’avaient pas forcément besoin d’un tel rassemblement ; pour la Polynésie française, il était vital. Faire, dans tous les sens du terme, rayonner les films documentaires polynésiens en dehors de leurs lieux de production, c’est aussi l’assurance de la perpétuation d’une identité…
Petit à petit, le Festival International du Film documentaire Océanien est devenu un marché en phase de structuration. Preuve de son importance éditoriale, la présence de toutes les télévisions privées de la région, de Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, et de certains producteurs internationaux.
Si Tahiti demeure une partie du monde où il arrive parfois de signer des contrats ou d’entamer de fructueuses discussions assis dans l’eau chaude d’un lagon, loin des requins de l’audiovisuel mondial, l’île transpire aussi de convivialité, de chaleur et d’authenticité. A l’image de ce FIFO. Mais on ne vous a pas encore parlé de films ? Ça ne saurait tarder…A Tahiti, on vous accueille traditionnellement en vous remettant un collier de fleurs autour du cou. Le FIFO, dit-on, sait tout aussi bien faire fructifier les perles… Documentaires, bien sûr.
Cédric Mal
Plus loin…
– Polynésie française : Le secteur documentaire se structure, et il a besoin d’être soutenu
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