Ambiance studieuse au Lab Emergence. Le Blog documentaire s’est glissé parmi les équipes créatives qui s’activent dans les salles du Banff Centre pour affiner leurs principes de narration interactive. Les mentors, eux, affinent leur stratégie en vue d’une restitution en forme de show pour vendredi soir, tout en se pliant à de petites interviews. En fin de journée, les présentations de Sue MacKay et Morgan Bouchet ont ranimé la discussion autour de la qualité des programmes télé et de leurs applications second écran…
Rappel du générique
Elisabeth Rull est la porteuse du projet transmédia « Les mémoires courtes », rebaptisé « Le tiroir des secrets ». Elle travaille avec Victoria Gibson au son, Carine Khalife à l’illustration et Colas Wohlfahrt à la conception interactive.
Il y a aussi Sean Michaels, qui dirige son expérience multimédia « Holo ». Il fait équipe avec James Braithwaite, Patrick MacEwon et Stephen Ascher.
Morgan Bouchet, Sue MacKay, Jérôme Hellio, David Dufresne et Antonin Lhôte sont les mentors.
Les financements proviennent de l’Ambassade de France au Canada, de l’Institut Français et du Banff Centre.
Le Fonds des Médias du Canada et On Screen Manitoba ont apporté leur soutien.
Catherine Briat, Erika Denis, Sarah Arcache et Julien Lamy assurent l’organisation.
Et Nicolas Bole écrit ce papier.
Premiers réglages pour le show de vendredi soir
Une routine, ça s’installe vite : à peine 72 heures après le début du Lab, l’esprit de découverte a laissé place à une mécanique de travail. Les équipes sont là pour ça, installées dans leurs pièces de travail ; chacun affairé à produire, qui du texte, qui des dessins, qui des schémas narratifs. Les mentors, eux, tiennent débat au MacLab Café où, paraît-il, le café est meilleur qu’au restaurant qui accueille le Banff Centre tout entier pour les repas.
Car sous la glace, le feu couve. Un Lab d’une semaine, c’est de la pâte à modeler qu’on re-configure chaque jour. Le programme du matin est souvent obsolète le soir, on « change les règles du jeu », comme le dit Jérôme Hellio. Manque de préparation ou caractéristique inhérente aux séminaires de travail ? Jérôme Hellio ose une métaphore – genre littéraire décidément en vogue depuis lundi, musicale celle-ci : « C’est comme du jazz : plus t’es en free style, plus les partitions doivent être serrées ». Traduction : on devrait être plus rigoureux dans la préparation, dans la sélection des projets, et ne pas avoir forcément à décider le jeudi matin ce qu’on demande aux porteurs de projet pour le vendredi.
La discussion se focalise en effet autour de la restitution attendue pour vendredi soir. Antonin Lhôte lance les hostilités : « Qu’est-ce qu’on leur demande ? ». Chacun y va de sa proposition : « Un pitch et une présentation d’une minute ! », « un truc en plein air, du spectacle quoi ! », « il faut qu’il y ait du WOW-effect ! », « quelque chose d’un peu solennel ! ». « Le choix n’est pas qu’une question de protocole ou de technique » argumente Antonin. Filmer les équipes dans une salle semblable à toute autre salle de campus du monde ou les emmener devant le paysage majestueux des montagnes, ça n’est pas la même chose. Il faut dramatiser un peu, « les mettre en danger ». Les forcer à faire plus qu’une restitution : un mini-show, qui puisse être présenté à un diffuseur ou à un média. « Qu’ils nous racontent une histoire ! », entonne David Dufresne. Lequel enchaîne, un peu surexcité, avec une proposition : « 5 minutes de présentation, 1 minute de proto, 5 minutes de questions, puis le débrief ! Format international ! Ils doivent faire quelque chose qui puisse être diffusé sur Le Blog documentaire dès samedi ! ». Soit, c’est une idée…
L’envie d’extérieur oblige en tout cas à quelques concertations avec les équipes du Banff Centre, toujours très disponibles pour les requêtes d’ordre technique. La pluie qui fait la grasse matinée aujourd’hui promet d’être présente à l’apéro demain… Quant à filmer devant le panorama naturel derrière une vitre, on risque fort le contre-jour. La question est finalement réglée en début d’après-midi : ce sera bien face aux neiges éternelles, de 15h30 à 16h30, avec un minutage précis et du temps de préparation en amont. Pour les équipes, le groupe des mentors s’arrête sur la proposition de David Dufresne : un pitch de 5 minutes et une démo d’une minute maximum qui présente le projet. Mais « qu’ils soient dans le concret ! », entend-on en stéréo. Le groupe de Sean Michaels est parti dans l’idée d’un prototype qui serait visible en ligne. Les mentors opinent, confirmant ainsi que la gestion d’un séminaire semble se faire à l’avenant. David précise aux deux équipes : « Il nous faut une minute à l’intérieur du dispositif, dans le cœur de l’histoire. Pour savoir ce que je ressens quand je lis, quand je clique sur l’interface, etc. ». A Elisabeth et son groupe, il précise encore : « ce n’est pas un wireframe commenté que l’on veut, mais bien ce qui se passe exactement. Je veux que tu me dises, quand je suis au niveau 3 du jeu, ce que j’ai à faire, ce que je ressens ». Et de conclure : « ne faites pas trop long ; ce qu’il faut, c’est capter la mécanique ». David Dufresne et Jérôme Hellio, les deux gais lurons de la bande, n’ont pas fait le déplacement pour rien : ils sont « embauchés » par Elisabeth pour faire les voix de deux des personnages de son jeu. Mentor aujourd’hui, c’est aussi donner la main aux projets !
Le visuel colonise les murs des salles
Cette fois, ça y est : dans les deux équipes créatives, place au silence. Les mots commencent à être intériorisés. Les tâches sont distribuées : sur le tableau blanc d’Elisabeth, la liste des choses à faire est détaillée pour chacun des membres de l’équipe. Stephen, le développeur de l’équipe de Sean, va-t-il rejoindre celle d’Elisabeth pour prêter main forte au développement technique de l’interface ? Le jeune homme y semble favorable, mais l’extraire de l’équipe de Sean est-il opportun (équipe où, il est vrai, il est un peu désœuvré étant donné que le réalisateur a décidé de conserver Twine pour développer The Seers Catalogue) ? « Il faut bousculer un peu ! », propose David Dufresne. Mais la constitution des équipes est trop entérinée pour pouvoir être modifiée sans heurts.
Je me glisse dans les salles, profite du spectacle : d’un côté, des dessins en noir et blanc ; de l’autre les fameux documents, désormais épinglés au mur. Chez Sean, la patte graphique des deux dessinateurs, James et Patrick, est bien différente : James possède un style minimaliste et précis qui fait notamment penser aux gravures de Félix Vallotton ou au trait de Scott McCloud. Patrick, lui, adopte un trait plus léger, aérien, plus fourni aussi. Les deux intentions sont destinées à représenter les deux univers du projet (l’univers de James pour le catalogue ; celui de Patrick pour le monde dans lequel plongera l’internaute).
Rien ne filtre en revanche de l’histoire elle-même que veut raconter Sean et qui a donné lieu à une longue phase d’écriture en amont du Lab. Comme l’indique Sue MacKay, « il n’a pas changé son point de vue depuis le début du séminaire, cela reste du texte et du dessin. Il n’est pas très ouvert à l’idée de densifier son projet avec des composantes transmédia ». David renchérit : « on veut savoir ce qu’il y a dans sa tête ! Quelle est son histoire ? ». Le courant n’est visiblement pas totalement passé entre les mentors et ce groupe. Un retour qui sera pris en compte dans la manière de préparer le Lab Emergence 2016 et qui fait écho à la réaction initiale de Jérôme Hellio.
Elisabeth, de son côté, a disposé les documents sur le mur. Carine travaille sur l’illustration qui constituera la séquence demandée par les mentors pour la restitution du vendredi après-midi. Colas se charge du dispositif interactif, avec des idées de parallaxe qu’Elisabeth approuve avec enthousiasme.
Développement du second écran = appauvrissement du premier ?
En fin de journée, Morgan Bouchet et Sue MacKay, les deux profils plus « marketing » des mentors, réalisent une présentation dans le même esprit : comment le numérique a-t-il révolutionné les usages et les façons de produire de l’audiovisuel marié avec du web ? Sue MacKay détaille quatre programmes web produits par le groupe Corus dans lequel elle est VP. Morgan Bouchet, lui, présente l’application « compagnon » phare de OCS (Orange Cinéma Series) autour de l’univers de Game of Thrones. La similarité des approches fait sourire dans la salle quand une des diapositives de leur document, montrant deux photos prises à 40 ans d’intervalle d’une famille devant la télé pour montrer la différence de consommation des écrans, est presque la même. On parle consommateurs et dévalorisation de la valeur d’un produit par le piratage. Assertion qui fait réagir Antonin Lhôte, qui cite une déclaration du patron de HBO en 2013 s’affirmant « flatté » par le piratage des séries du groupe. Morgan Bouchet précise que cette déclaration n’était peut-être qu’une manière de ne pas perdre la face, en évoquant notamment la gigantesque fuite des 4 premiers épisodes de la saison 5 de Game of Thrones cette année. David Dufresne, lui, aborde la question du second écran : « si le public se détourne progressivement du premier écran, il faut peut-être se demander pourquoi ce qui est proposé sur ce premier écran est de plus en plus mauvais ! ». Comme souvent, la discussion entre francophones atteint vite les aigus et les déclarations enflammées. Emportements auxquels coupe court le pragmatisme de Sean, qui se renseigne auprès de Morgan sur la gestion de la publicité sur le réseau Orange avant que la réunion se termine.
Convergence en vue
Au-delà du Lab Emergence, relaté par le menu dans ces chroniques, se jouent aussi d’autres enjeux à Banff. Le programme n’est pas né ici par hasard. Installé à Banff juste en amont du World Media Festival où tout le panel audiovisuel du pays se retrouve, le séminaire a pour but de défricher les pistes de collaborations possibles entre les professionnels français et canadiens. La construction du Lab, pilotée par l’Ambassade de France, est cependant le fruit d’une réflexion commune menée avec les équipes du Banff Centre. Objectif : une parité parmi les mentors comme parmi les participants, de manière à confronter les manières de faire, et les expériences. Une sorte de « convergence » donc, narrative en ce qui concerne le Lab lui-même, sur les outils, les compétences et les pratiques.
Mais la convergence ne se situe pas que dans la création : la convergence technique (telle que décrite par Henry Jenkins dans La culture de la convergence dès 2006) a fait naître la convergence économique, rendue nécessaire par l’internationalisation des marchés audiovisuels et par la proximité des industries. Ainsi, entre le Canada et la France, des accords sont en discussion au plus haut niveau pour définir le cadre dans lequel les producteurs des deux pays pourront travailler ensemble. Demain vendredi, dans le cadre du Lab Emergence, une réunion aura lieu sur la question entre Josette Normandeau, présidente d’Ideacom (qui avait notamment coproduit Apocalypse, 10 destins) et Jérôme Hellio. Le programme est vaste : éclater les « silos » dans lesquels chaque industrie (l’audiovisuel par exemple) fonctionne, sans forcément pouvoir coopérer avec d’autres secteurs (le web, les jeux vidéo…), réfléchir à une programme bilatéral permettant aux producteurs des deux pays de se tourner vers un nouveau fonds, simplifier la manière dont les accords de coproduction s’appliqueront… En amont de cette rencontre, j’ai fait le point avec Catherine Briat sur l’histoire du Lab et ces objectifs plus « politiques »… Réponses à suivre demain…
Les mentors : Mission, Emergence, Narration (et bientôt Travaux, Oculus et Réalisateur)
Pour finir, première des deux mini-séries de vidéos tournées avec les mentors. Ils ont répondu en moins de six minutes à six questions commençant par les lettres du mot « MENTOR ». Aujourd’hui, M comme Mission, E comme Emergence et N comme Narration…