Ce furent cinq jours de festival palpitants que nous avons vécu en Guyane, à Saint-Laurent du Maroni. Cinq jours de projections et de rencontres autour de documentaires réalisés dans la région Amazonie-Caraïbes. Cinq jours en immersion dans l’incroyable diversité des productions locales. Cinq jours dont on attend impatiemment la suite… Compte-rendu du 1er FIFAC, Festival International du Film documentaire Amazonie-Caraïbes, signé Fanny Belvisi.

© Fanny Belvisi/Le Blog documentaire

Il est 18h30. La nuit humide enveloppe la route bordée par la forêt amazonienne qui m’emmène de l’aéroport de Cayenne jusqu’à la ville de Saint-Laurent du Maroni. Au détour d’un virage, dans la lumière des phares, surgit une figure spectrale… avant de s’évanouir aussitôt. Est-ce une femme, une apparition ? Je ne saurai le dire.

Elle est ce fantôme qui me conduit vers tant d’autres…

Car le camp de la Transportation de Saint-Laurent du Maroni où s’est tenue la première édition du Festival international du Film documentaire d’Amazonie et des Caraïbes (FIFAC) du 12 au 19 octobre 2019, est un lieu hanté. Par les milliers de bagnards qui furent détenus dès le 18ème siècle, ici, entre les murs des douze cases blanches présentes sur le site et à l’intérieur desquelles les 13 films en compétitions du FIFAC ont été projetés.

Un décor chargé, habité même. Transformer ce lieu de mémoire en un centre culturel vivant, tourné vers les enjeux de notre monde contemporain, est pourtant le défi que s’est lancé Sophie Charles, la maire de Saint-Laurent du Maroni.

Et l’audacieux FIFAC marque un pas de géant dans la réhabilitation du bagne. Pendant près d’une semaine, des documentaires guyanais ont rencontré les films de réalisateurs martiniquais, haïtiens, brésiliens, guadeloupéens, équatoriens, vénézuéliens… Un espace de confluences donc, qui sied merveilleusement à l’une des premières ambitions affichées par le FIFAC en s’implantant ici : créer un bassin de production de documentaires commun, structurer un réseau où puissent enfin se rencontrer – et dialoguer – les synergies des pays de cette aire géographique. Même situés à quelques kilomètres les uns des autres, tous constatent l’isolement dont ils font l’objet. La réalisatrice brésilienne Patrizia Landi venue présenter son film Vertige de la chute a dû prendre pas moins de 4 avions pour rejoindre Saint-Laurent depuis Rio, alors même que son pays partage avec la Guyane une frontière longue de 730 kilomètres…

Si l’on ajoute à cet enclavement géographique, la diversité des langues de cette région du monde et la nécessité d’obtenir un visa pour entrer dans certains de ces pays, force est d’admettre que les obstacles que le FIFAC aura à surmonter pour mettre en place des coopérations pérennes, sont nombreux.

Les eaux beiges du long fleuve qui frangent Saint-Laurent du Maroni et les côtes voisines du Surinam devraient pourtant largement contribuer à fluidifier ces échanges. Posé sur les rives de l’imposant cours d’eau, le camp de la Transportation n’échappe pas au souffle migratoire qui emmène chaque jour des milliers de pirogues vers le Surinam ou dans les confins de l’Amazonie. Symboles des transactions humaines et commerciales que le fleuve charrie depuis toujours, ces fragiles embarcations résument à elles seules les nécessités de créer un festival tel que le FIFAC ici, à Saint-Laurent, et non dans la capitale à Cayenne. Car sur ces rives se croisent chaque jour des Guyanais, des Haïtiens, des Brésiliens, des Surinamais, des Créoles, des communautés amérindiennes, des Bushinengués, des Chinois. Tout un melting-pot culturel qui caractérise plus largement les territoires ultra-marins.

A l’image de ce fleuve, « l’Outre-mer est le symbole de mondes qui se rencontrent et s’entrechoquent » affirme Walles Kotra, le Directeur exécutif en charge de l’Outre-mer de France Télévisions, « comme c’est le cas bien souvent, ce qui se passe en périphérie est en fait porteur de questions centrales. Comment un pays, tel que la Guyane, se construit-il avec ces flux migratoires ? »

Le réalisateur et membre du jury de cette première édition, Mehdi Lallaoui, annonçait en début de festival sa volonté « d’ouvrir la rivière et de faire voir les pirogues que l’on a jamais vues. »

Walles Kotra – © Fanny Belvisi/Le Blog documentaire

De fait, les treize documentaires en compétition étaient le reflet de cette pluralité de regards, de sensibilités et d’histoires. Les grandes questions environnementales sur la destruction de la forêt amazonienne et le dépeuplement des populations amérindiennes étaient à l’honneur de cette première édition avec les films Ka’apor, le dernier combat de Nicolas Millet, Spears from all sides de Christopher Walker ou le documentaire primé Unti, les Origines réalisé par Christophe Yanuwana Pierre, lui-même amérindien. Une œuvre poétique et très personnelle qui donne à voir le point de vue de la communauté des Kali’nas depuis l’intérieur.

Comme une étrange résonance au bagne qu’a été le camp de la Transportation pendant près de deux siècles, le festival proposait une plongée dans la prison Modelo de Bogota par le film Modelo Estero du collectif Mario Grande. Un documentaire sur la résilience que peut procurer l’art, et plus spécifiquement le rap, dans un univers pénitentiaire.

Des problématiques plus intimes étaient également abordées : l’inceste avec le film primé Scolopendres et Papillons de Laure Martin Hernandez et Vianney Sotès, l’acceptation de l’homosexualité en Guyane avec Fabulous d’Audrey Jean-Baptise qui a reçu le Prix des Lycéens, et enfin Douvan Jou Ka Leve de la réalisatrice haïtienne Gessica Geneus, Grand Prix du Jury de cette première édition du FIFAC. Le film se penche sur la maladie mentale de la mère de la réalisatrice et questionne le lien entre cette pathologie et la situation qui affecte le peuple haïtien lui-même.

Petite pépite dans cette programmation, qui n’a pas brillé que par son seul choix d’images en noir et blanc : Vertige de la chute de Vincent Rimbaux et Patrizia Landi. Une œuvre saisissante, à la frontière entre la fiction et le documentaire, sur la décroissance qui affecte l’opéra de Rio – et plus généralement la culture au Brésil.

Diffusés en journée dans les cases du camp de la Transportation, c’est sous les branches protectrices de l’immense manguier – qui trône dans la cour principale – que cette constellation de films a été montrée pendant toute la durée du FIFAC.

Chaque soir, à la tombée de la nuit, les nombreux festivaliers pouvaient s’immerger dans ces images projetées sur un écran gonflé pour l’occasion. Visions flottantes et fantastiques d’un ballet silencieux où s’entremêlait le lointain écho des plaintes des bagnards.

Le soir de la cérémonie de clôture, Mehdi Lallaoui me lançait malicieusement : « Vous avez senti ces présences ? Vous avez perçu tous ces fantômes qui errent entre ces murs ? ».

Fanny Belvisi

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4 Comments

  1. Maillebiau Éric

    Bravo Fanny pour ce bel article qui nous donne envie ! Je n’avais pas compris que le festival se déroulait à l’intérieur même de l’ancien bagne… Tenter de décrypter le monde dans lequel nous vivons à partir d’un lieu autrefois hors du monde, joli clin d’oeil de l’histoire et magnifique initiative !

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