On le rencontre régulièrement à La Rochelle, mais il se promène aussi au Canada… Le « Cuban Hat » était encore présent cette année aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, précisément au « Doc Circuit ». Cette soirée proche du spectacle de cabaret permet à 5 candidats de présenter leurs projets afin de remporter des prix qui leur permettront peut-être de finaliser leurs films. Alors que le mois de novembre est généralement celui des dilemmes pour les globe-trotters du documentaire, Le Blog documentaire a réussi la prouesse d’être à la fois présent à l’IDFA d’Asmterdam et donc aux RIDM. Qu’est-il sorti du chapeau de cette séance de pitch pas comme les autres ? Compte-rendu signé Justine Pignato.
Lundi 14 novembre 2016, il est tout juste 19 heures et une foule enthousiaste et impatiente remplit rapidement la salle de concert du 3450 rue saint-Urbain à Montréal, QG des RIDM. Ce soir a lieu un des événements les plus populaires du marché du film documentaire du festival) : le fameux pitch « Cuban Hat ».
Cela fait maintenant six ans que les RIDM organisent, conjointement avec la coopérative Makila, cette rencontre originale. Après un appel à projets en ligne lancé par Makila, cinq sont retenus. Les réalisateurs sont ensuite invités à venir pitcher leur projet pendant les RIDM en novembre. Ce soir-là, tout le monde attend impatiemment d’entendre les candidats présenter leurs très sérieux projets de film dans une ambiance plutôt décontractée. Ils ont 7 minutes de présentation, les 7 minutes suivantes sont consacrées aux questions du jury, principalement des diffuseurs, et du public.
Lorsque vous entrez dans la salle, des bénévoles vous tendent un chapeau – un Panama cubain – pour récupérer des dons qui seront remis au gagnant du pitch. Diego Briceño-Orduz et Giulia Frati, qui animent le Cuban Hat depuis ses débuts, portent également un chapeau. Ils entament leur introduction avec un shot de Havana Club. Chaque participant et chaque membre du public qui pose du question a en effet droit à son verre. Le ton de la soirée est donnée !
La première candidate, Sylvie van Brabant, monte sur scène en tenue de femme cougar, qu’elle troquera plus tard pour un costume de Frida Kahlo, afin de présenter son projet sur Isaac Hernandez, danseur étoile mexicain. Ce dernier est un symbole de réussite et incarne un modèle pour la jeunesse mexicaine. Sylvie compte suivre son personnage et ses proches, dans leurs activités artistiques mais également politiques, pour tisser une histoire de famille. Après le traditionnel shot de Havana Club pour clore cette présentation, c’est au tour du candidat suivant, Axel Laroche, de monter sur l’estrade. Il présente Hispaniola, du nom de l’île qui accueille Haïti et la République Dominicaine. Et pour cause, en 2013, le tribunal constitutionnel de République Dominicaine a supprimé la nationalité dominicaine aux Dominicains d’origine haïtienne installés dans le pays depuis 1929. Des déportations de Dominicains d’origine haïtienne, de République Dominicaine vers Haïti, ont ainsi lieu depuis 2015. Les braseros, qui travaillent dans les champs de canne à sucre, sont évidemment les plus touchés. Le cinéaste hésite un moment dans sa présentation, un blanc, il perd le fil de son récit, Diego et Giulia arrivent à la rescousse avec un petit verre de rhum et Axel est prêt à reprendre son récit là où il l’avait interrompu !
On passe au troisième candidat, enfin plus exactement aux troisièmes candidates : Kristen Brown est accompagnée de ses co-réalisatrices pour Para todos, por todos. L’idée du film a émergé lorsque Kristen Bowen a participé à une collecte d’instruments de musique. Son film dresse le portrait de la communauté LGBT qui fréquente le centre culturel « El Mejunje » dans le quartier de Santa Clara à La Havane. L’endroit est ouvert à tous et se veut un lieu de partage et de rencontres, notamment autour de la musique. C’est un refuge où se mêlent solidarité, drag activism et partage, avec pour vecteur : la musique. Ce sera Mezcal pour ces dernières, ramené par Inti Cordera, le programmateur de DocsDF (festival de documentaire de Mexico).
Il est déjà 21h30, Sarah Seené monte sur scène, elle porte un t-shirt noir orné de petits pompons colorés, une ceinture de Barbie et autres jouets en plastique. Elle vient présenter son documentaire expérimental, De poils et de plastique, sur Lucas Brastaad, un artiste-plasticien qui a créé de nombreuses œuvres hybrides empreintes de sexe, de mort et de violence. Le personnage principal vit dans un petit village en France et se montre rarement, même lors de ses propres expositions. Sarah a travaillé six ans sur ce projet afin de dresser un portrait, mais sans le montrer, de ce mystérieux personnage.
Pour clore les présentations, Lea Marinova défend Mémoires (re)composées. Le film retrace la vie de son arrière grand-père, anarchiste bulgare, qui a été emprisonnée en camp de concentration de Béléné, à cause de ses activités politiques. C’est une histoire familiale où le destin d’Alexandre (l’arrière grand-père) est vu à travers les yeux de son fils Todor (le grand-père de Léa). Mais c’est aussi un film qui tente de reconstituer l’histoire de l’anarchisme en Bulgarie après que les Bolcheviks ont tout fait pour l’effacer. La réalisatrice intégrera des dessins au fusain pour symboliser les traces de cette (H)histoire.
Il est temps à présent pour le public de voter, on glisse un bulletin dans les chapeaux qui circulent dans la salle. Le vote dues spectateurs comptera pour 50%, les 50% restant correspondent au vote du jury.
En attendant les résultats, le public et les participants quittent la salle pour se rendre au bar dans la salle adjacente. Les discussions sont animées et chacun y va de son pronostic. Les résultats tombent, chaque participant reçoit un prix selon un ordre décroissant. La somme des lots équivaut à 44.000 dollars canadiens en services tels que de la location d’équipements, de la postproduction, de la formation ou encore des accréditations.
La grande gagnante de ce soir est Lea Marinova pour Mémoires (re)composées. Elle est venue avec un petit groupe d’amis qui l’entourent et crient de joie lorsqu’elle est annoncée gagnante. Léa affiche un grand sourire et semble émue. Cette impression m’est confirmée, le lendemain, lorsque je la croise au face-à-face (rencontres réalisateurs-décideurs) et qu’elle me dit être encore sous le coup de la surprise. En plus des divers prix des sponsors, elle remporte la somme de 150 dollars qui est le montant de la cagnotte récoltée tout au long de la soirée auprès du public. Afin de fêter cela, la salle se transforme en piste de danse où les discussions – autour du documentaire – se poursuivent au rythme des samples du DJ.
Le pitch « Cuban Hat » est l’occasion de transformer un exercice formel et stressant en moment de partage. L’ambiance créée pour cette soirée mêle dynamisme et légèreté. C’est l’occasion pour les documentaristes de rencontrer des distributeurs ainsi que d’avoir un (premier) retour du public. La présence de ce dernier amène des pitchs construits sur un ton différent de l’exercice plus classique. Une belle expérience et une belle façon d’encourager la création documentaire.
Les projets soutenus par le « Cuban Hat » ont par la suite des parcours assez variés. Le film Manic, « Cuban Hat 2013 », a ensuite été soutenu par la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles) et sa réalisatrice a pu participer, pour le film, à un atelier de réalité virtuelle mené dans le cadre du festival MUTEK (Montréal).
Pipelines, pouvoir et démocratie, « Cuban Hat 2014 », a ensuite été produit par l’ONF (Office National du Film du Canada). Chez les géants, « Cuban Hat 2015 », a valu à Sébastien Rist et Aude Leroux-Lévesque le prix du meilleur réalisateur à Hot Docs 2016 ainsi qu’une diffusion sur Documentary Channel. Il a également été diffusé cette année en compétition nationale aux RIDM. Autant de projets auxquels, bien sûr, on tire… notre chapeau !
Justine Pignato
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