Ce n’est pas uniquement parce qu’il a été coproduit avec Lardux Films par Barbara Levendangeur, notre complice trop tôt disparue, que nous nous intéressons aujourd’hui à ce documentaire. Il reste en effet assez rare de filmer un-e responsable politique avec une telle proximité. « Edouard, mon pote de droite » dresse le portrait aigre-doux de l’actuel maire du Havre, et tente de comprendre « la fabrique du pouvoir dans la France contemporaine ». C’est à voir ce mercredi 10 août sur France 3 à 23h25. Le replay est ici.

edouard_affichePas facile de filmer la politique. Pas évident non plus de s’attaquer à un-e élu-e dans l’exercice très concret de ses fonctions, en s’affranchissant de tous les artifices communicationnels que ces professionnels de la politique ont tôt fait de mettre au-devant du premier curieux muni d’une caméra. Certains cinéastes s’y sont essayé, avec succès pour Jean-Louis Comolli, Yves Jeuland ou encore Edouard Mills-Affif, et bien souvent à la faveur d’une campagne électorale qui cristallise les tensions, ravive les débats, et offre une dramaturgie assez évidente à l’issue du scrutin.

Laurent Cibien s’inscrit dans cette veine narrative (avec les élections municipales de 2014), mais il jouit d’une relation inédite avec le personnage qu’il se propose de suivre. « Camarade de classe » d’Edouard Philippe, il connait très bien celui qui fut propulsé à la tête de la mairie du Havre en 2010 par son prédécesseur, et qui sollicite dans ce film l’approbation de ses concitoyens pour la première fois. Les deux hommes entretiennent donc une relation familière, amicale, très perceptible dans ce documentaire, à ceci près que l’un penche à droite quand l’autre vire depuis longtemps à gauche.

Et c’est « l’élu » qui énonce lui-même au début du film le pacte passé pour ce tournage entre les deux anciens collègues de promotion : il accepte d’être filmé, à l’exception des scènes qu’il jugera inappropriées, et renonce à tout droit de regard sur le montage final. Belle promesse… Et la franchise, l’apparente sincère décontraction avec laquelle le « pote de droite » se laisse « saisir » par ce « cinéaste de gauche » est à plusieurs endroits assez remarquable. Là où l’élu compose sa liste électorale au risque de se fâcher avec ses amis, là où il ouvre une fenêtre sur sa stratégie de conquête des électeurs de l’autre camp, là où transparaît un peu de son cynisme ou de sa droiture… Autant d’instants rares, captés par une caméra attentive, autorisée à se poser sur le coin d’un bureau avec une facilité assez déconcertante tant la trivialité de certaines scènes étonne… Le regard est précis, et distancié quand il s’amuse par exemple à débusquer un ouvrage de Machiavel dans la bibliothèque du maire, à côte d’un livre d’Yves Jégo…

Mais le pacte initial énoncé devant une assemblée de supporteurs conquis à la cause de l’édile en quête de mandat se délite peu à peu. Le charme opère, et le personnage public s’impose petit à petit sur son metteur en scène. D’un détail, pour commencer : « Allez, viens ! – Je te suis. » Puis on sent que le maire, habile, jovial, intelligent et éloquent, prend le pas sur son ami. In fine, et contrairement à ce que pouvait laisser penser le contrat initial, c’est lui qui mène la danse. « Le pouvoir finalement, c’est la capacité de pouvoir nommer les bonnes personnes aux bonnes places. », entend-on. Et quand le réalisateur tente de mettre en question la vision du monde du maire, celui-ci manie l’art de la rhétorique avec une certaine maestria. L’un parle de « gestion collective » ; l’autre rétorque « nécessité d’un chef » et conclut par une pirouette bien connue à l’échelle de la gestion municipale : « Il n’y a pas de tramway de gauche ou de tramway de droite ». La bataille des mots et des images bascule peu à peu…

Le montage du film n’est pas non plus convoqué pour mettre en jeu la relation entre filmeur et filmé. Les séquences s’enchaînent avec une efficacité assez systématique. Les « respirations urbaines » que propose le réalisateur – la ville du Havre, formidablement photographiée -, si elles aèrent agréablement le récit, ne viennent que conforter le maire dans son entreprise de séduction. « Tu vas avoir un beau film », concède-t-il au soir de son élection.

A la fois comédie documentaire et essai ethnologique sur ces drôles d’animaux politiques, Edouard, mon pote de droite constitue le premier chapitre d’un « travail au long cours sur la fabrique du pouvoir dans la France contemporaine ». Espérons que le deuxième volet gagne encore en force de conviction : Edouard Philippe est l’un des atouts de l’équipe d’Alain Juppé…

One Comment

  1. Merci de cette excellente analyse et regard sur ce film, premier d’une collection de films sur Edouard Philipppe. Vous pouvez voir le film en intégralité en VOD ici : https://vimeo.com/ondemand/edouardmonpotededroite

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