Le Prix du public Les Yeux doc est de retour ! Après une première édition l’an dernier qui a vu Derniers jours à Shibati de Hendrick Dusollier remporter le plus grand nombre de suffrages (excellent film auquel nous avons consacré un article original, le premier de notre série de publications intitulées « Incipit »), cette superbe initiative se poursuit. Depuis le 5 mars et jusqu’au 3 avril, les usagers des bibliothèques qui proposent Les Yeux doc sont invités à choisir leur film préféré parmi une sélection de 4 documentaires en lice. Le formulaire de vote est ici. Seule obligation pour voter : être inscrit comme usager dans une bibliothèque elle-même abonnée à la plateforme.

Explications sur un prix atypique, encore modeste en apparence mais qui se veut très utile sur le long terme.

L’an dernier était une première pour Les Yeux doc, cette plateforme dédiée au cinéma documentaire d’auteur. La Bibliothèque Publique d’Information (qui gère cet espace de diffusion en ligne) avait lancé ce nouveau prix en faisant émerger plusieurs bons documentaires de son catalogue. Un événement qui se voulait avant tout un noble prétexte pour que soit favorisée la rencontre entre des spectateurs – toujours plus nombreux, le souhaite-t-on – et de belles et passionnantes œuvres de cinéma. C’était effectivement très noble – mais difficile.

Effectuons un petit retour sur la première édition. Lancer un nouveau prix n’est jamais chose aisée, mais le lancer pendant une pandémie encore moins. Compliqué de se faire connaître du public visé quand les mesures sanitaires ne permettent pas aux bibliothèques de projeter les documentaires en question. « La première édition, ça a été un peu particulier« , reconnaît Aurélie Solle, chargée de la diffusion du Catalogue national de films documentaires à la Bpi. « Déjà parce que c’était une première donc on ne savait pas trop comment l’initiative allait être reçue. Puis parce que le contexte sanitaire nous a empêché de faire vivre ce prix comme on l’aurait voulu : au début du printemps 2021, les projections étaient impossibles. » Néanmoins, le bilan est loin d’être négatif : « Sur l’idée même du prix, on a eu un très bon retour des bibliothèques qui ont participé à son  élaboration. On sentait qu’il répondait à un réel besoin de s’appuyer sur un événement national pour faciliter leur médiation envers le cinéma documentaire. Le fait que l’on propose un cadre qui puisse s’adapter à chaque contexte dans lequel ces bibliothèques se trouvent, qui ne soit pas trop contraignant, leur a bien plu. Des bases solides ont été posées. Et puis au sein des bibliothèques elles-mêmes, le lancement de cet événement a parfois favorisé des échanges à propos de cinéma documentaire. Donc oui, le bilan est positif « , conclut Aurélie Solle.

Un tel galop d’essai se devait d’être intensifié pour un deuxième tour de piste. A peine le prix avait-il été remis que Les Yeux doc s’attelaient à une nouvelle saison. Avec plus d’intensité certes, mais aussi en effectuant quelques réajustements judicieux : « Avec nos bibliothèques partenaires, on a tous discuté ensemble à partir de nos retours d’expérience, dans une dimension participative, et cela a nous a amené à faire évoluer quelque peu l’organisation et le contenu de notre Prix du public. »

Car rappelons aux lecteurs du Blog documentaire qui découvriraient l’existence de ce prix : son lien avec ces modestes structures culturelles que sont les bibliothèques est essentiel, ombilical pourrait-on dire. De par son établissement national de tutelle qu’est la BPI en premier lieu, mais aussi par ses relais partout en France, dans un maillage couvrant tout le territoire, à savoir les bibliothèques départementales, municipales ou universitaires. Car l’étape préliminaire – invisible aux yeux des votants – dans l’organisation de ce prix se passe entre la plateforme et les bibliothécaires : ce sont ces derniers qui, à partir d’une sélection plus large que celle qui ce mois-ci est soumise au public, votent les premiers, à la manière de « pré-sélectionneurs » de festivals.

Néanmoins, à quels changements cette discussion participative a-t-elle abouti ? « Cette année, on a voulu intégrer davantage nos partenaires bibliothécaires dans le choix de la première sélection, on a pris en compte des titres qu’ils nous ont proposés, explique Aurélie Solle. On a aussi décidé de réduire le nombre de films en lice. 10 l’an dernier, alors que cette année 8 ont été soumis à la votation des bibliothécaires. Et par conséquent 4 documentaires en compétition au lieu des 5 en 2021 sont proposés cette année aux suffrages des publics. On a aussi fait en sorte d’ouvrir le vote pendant une période qui soit hors vacances scolaires, quelle que soit la zone où l’on réside. Cela paraît de simples détails mais en réalité ce sont des améliorations qui peuvent contribuer à mieux faire connaître l’existence de ce prix. Nous voulons avoir un regard constructif sur cet événement. »

L’ADN de ce prix de dimension nationale reste au fond le même : comment faciliter le travail des bibliothécaires sur le terrain pour faire davantage connaître à leurs usagers la qualité et la diversité du cinéma documentaire d’auteur ? Son mode d’organisation a été pensé comme un cercle vertueux : « En offrant la possibilité aux agents travaillant dans des bibliothèques de se saisir de cet événement, nous contribuons à davantage les former en tant que médiateurs à l’égard du cinéma documentaire. Plus les bibliothécaires feront la rencontre qui leur apportera le goût de ce cinéma-là, plus ils sauront le transmettre aux gens qui fréquentent leur établissement », assure Aurélie Solle.

Au Blog documentaire, nous avons voulu toutefois interroger l’originalité inhérente de ce prix. Non pour le remettre en question, pas du tout, mais pour souligner qu’il peut, par sa nature atypique, susciter un léger brouillage dans sa lisibilité. D’ordinaire, un prix (comme le prix Jean Vigo par exemple, ou comme la plupart des prix littéraires) récompense une œuvre toute fraîche, toute récente, éclose dans l’année écoulée. Ici, la surprise peut advenir spontanément quand on s’aperçoit que les films en lice datent de plusieurs années déjà ; qu’ils ont toute une vie derrière eux, que ce soit en festivals, au cinéma ou à la télévision. Une remarque que concède Aurélie Solle : « Il est vrai que le prix du public Les Yeux doc est un peu différent des prix habituels, qui sont dans un rapport à l’actualité directe avec des films tout juste sortis ou tout récemment diffusés. Nous, nous sommes dans un rapport à la collection avant tout. Ce prix récompense forcément des films issus du catalogue des Yeux doc. » Notre interlocutrice ajoute alors : « Mais on veut croire – et en réalité, c’est vraiment ce que l’on croit – qu’un film réalisé il y a dix ans peut parfaitement rester un film pertinent à montrer et à défendre. Au fond, les bons documentaires restent de bons documentaires, même plusieurs années après qu’ils aient été réalisés. »

Le Blog documentaire n’aurait pas dit mieux, nous qui aimons aussi mettre en avant des films de tout âge, de toute époque.

L’agenda des animations mises en place par les bibliothèques abonnées aux Yeux doc afin de mettre en avant les 4 films en lice est disponible ici pour la semaine du 12 au 18 mars, là pour celle du 19 au 25 mars, et enfin ici du 26 mars au 2 avril.

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Les films en lice

[Toutes les bandes-annonces dans la vidéo ci-dessus]

Toto et ses sœurs de Alexander Nanau (2014, 1h34)

Totonel, Andrea et Ana sont frères et sœurs et livrés à eux-mêmes entre un père absent, une mère en prison et des oncles toxicomanes. Dans une grande cité dortoir gangrénée par l’insalubrité et les relents mortifères, comment s’en sortir quand on n’est encore qu’un enfant ? Sans misérabilisme, ni volonté de manipuler l’émotion du spectateur, Alexander Nanau délivre des images très dures et crues qui sont naturellement contrebalancées par l’innocence et l’appétit de vivre du petit garçon et de la sœur cadette.

Maman Colonelle de Dieudo Hamadi (2016, 1h12)

La Colonelle Honorine Munyole travaille au sein de la police congolaise où elle est chargée de la protection des enfants et de la lutte contre les violences sexuelles. À travers le portrait de cette femme d’un courage et d’une ténacité hors du commun qui lutte pour que justice soit faite, le film aborde la question des violences faites aux femmes et aux enfants en République démocratique du Congo, de Bukavu à Kisangani.

Jericó, l’envol infini des jours de Catalina Mesa (2016, 1h18)

Jericó est un petit village colombien situé dans le département d’Antioquia, au nord-ouest du pays. Catalina Mesa, originaire de la ville proche de Medellin, y a filmé douze femmes, douze facettes de l’esprit féminin, douze vies drôles et tristes à la fois, réunies dans cet hommage qui est avant tout une dédicace familiale à une grand-tante restée au village tandis que toute la famille migrait vers la ville.

Cassandro The Exotico ! de Marie Losier (2018, 1h10)

Dans le monde bariolé et flamboyant de la Lucha Libre, Cassandro est une star aussi incontournable que singulière. Après 26 ans de vols planés et d’empoignades sur le ring, Cassandro, le roi des Exoticos – ces catcheurs gays qui dynamitent les préjugés – est incapable de s’arrêter. Le corps en miettes, pulvérisé, il va pourtant devoir se réinventer…

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