Après les premières impressions recueillies aux 20èmes Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, entrons dans le vif du sujet : les films ! Quels ont été les moments forts dans les salles obscures ? Quelles œuvres ont pu marquer les festivaliers à l’occasion du vingtième anniversaire de la manifestation ? Tour d’horizon signé Fanny Belvisi.

© Fanny Belvisi

Autant l’affirmer dès le début, les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) sont tout sauf un festival « broche à foin » ! Broche à foin ? C’est-à-dire, en Québécois du Québec : désordonné, confus, ou même conçu de manière improvisée. La 20ème édition de ces Rencontres témoignait au contraire d’une grande maîtrise, d’une programmation soignée et d’envergure, signe d’un événement bien rodé. Le tout mêlé de ce soupçon de lâcher-prise qui donne aux manifestations leur panache et leur saveur.

Certes, l’impulsion de départ qui conduisit à la création de ces Rencontres en 1998 était peut-être, elle, « broche à foin », comme se plaît à l’affirmer encore aujourd’hui le petit groupe de documentaristes à l’origine du projet, réunis pour fêter ce 20ème anniversaire. « La raison pour laquelle on a monté le festival, c’est qu’on voulait montrer au grand public que le documentaire était ‘hot’ et aussi passionnant que la fiction. On voulait prouver aux diffuseurs qu’il y avait un public. Nous, les documentaristes, nous sommes doués pour transformer notre frustration en action. Nous étions en quelque sorte une cabale de cinéastes, notre groupe s’appelait ‘Urgence documentaire’. Avec cette urgence, on s‘est mis ensemble, on a cogité et on a écrit un manifeste qui a été signé. Notre vœu pieux, c’était de faire de Montréal un fer de lance du documentaire. Et nous avons fondé un festival sans le sou ! », affirme Erica Pomerance. « La première édition du festival était un succès, nous étions très contents. Nous sommes arrivés au bon moment. Nous avions déjà Hotdocs, à Toronto, mais c’était loin, c’était autre chose. Nous voulions faire quelque chose ici à Montréal, pour les Montréalais, en Français principalement. », explique Malcolm Guy.

Depuis, les Rencontres ont bien cheminé et elles se sont taillées une part belle dans le panorama des nombreux festivals de documentaire. Elles n’ont gardé de cet évocateur nom de « broche à foin » que l’énergie spontanée, chaleureuse et conviviale, que leur directrice générale Mara Gourd-Mercado incarne plus que jamais.

Mara Gourd-Mercado
Mara Gourd-Mercado

Parmi les belles surprises que comptait cette 20ème édition si spéciale des RIDM, il y avait assurément le premier et lumineux film de la réalisatrice Anna Zamecka intitulé Communion. Superbement filmé, le documentaire capte le parcours d’Olga, jeune fille âgée de 14 ans, obligée de prendre en main son père alcoolique et son frère autiste, après que sa mère a quitté la maison. Avec une infinie délicatesse, Anna Zamecka réalise le portrait d’Olga, tiraillée entre deux mondes : celui de l’adolescence auquel la jeune fille appartient encore ; et celui des adultes, dans lequel Olga a été propulsée brutalement. Prenant pour toile de fond la religion chrétienne et la préparation de la « communion » du jeune frère autiste, le film transforme le visage juvénile et poupon d’Olga en une magnifique Madone, dont le regard bleu perçant ne cesse d’interroger les adultes défaillants qui composent son quotidien.

 

Dans une toute autre veine, le premier film de Kalina Bertin, Manic n’est pas passé inaperçu. Guidée par son besoin vital de vérité et de compréhension, la réalisatrice part à la recherche de l’histoire mystérieuse de son père. Basé sur de nombreuses archives et sur des films super 8 réalisés par son père, ce film sinueux et fascinant se structure dans un chassé-croisé entre passé et présent. Pressentant le lien entre la maladie psychiatrique qui ronge son frère et sa sœur, et la personnalité aussi insaisissable qu’énigmatique de leur père, la réalisatrice plonge le spectateur dans les eaux troubles de son histoire familiale. Vertigineux, spectaculaire, Manic présente la quête sans fard de sa réalisatrice, bien décidée à conjurer le mal par le cinéma.

 

Le Liban était également à l’honneur de cette 20ème édition avec deux films récompensés à l’issue des Rencontres : Taste of cement de Ziad Kalthum, qui a reçu le Prix spécial du jury de la compétition internationale longs métrages, et Room for a man d’Anthony Chidiac, nommé Grand prix de la compétition internationale longs métrages. Nous avions déjà mentionné Taste of cement qui avait remporté le Sesterce d’or du meilleur long métrage en avril dernier au festival Visions du réel à Nyon, mais il intéressant de noter que les deux films entretiennent un étonnant petit jeu de miroir.

Si Taste of cement aborde le sort de Syriens venus se réfugier au Liban en travaillant comme ouvriers dans le bâtiment, Room for a man reprend indirectement cette thématique en mettant en scène notamment la discussion du réalisateur libanais avec des ouvriers syriens, précisément en train d’effectuer des travaux dans sa chambre à coucher. Le jeu d’écho entre les deux films ne va pourtant pas au-delà de ce renversement des points de vue, car Room for a man est avant tout un film intimiste et pudique.

 

Avec sa photographie impeccable, avec cette voix simple et limpide qui nous raconte l’histoire d’un homme que l’on comprend être celle du réalisateur lui-même, le film d’Anthony Chidiac aborde avec délicatesse la difficulté d’être homosexuel dans une famille conservatrice libanaise. Cette chambre depuis laquelle on nous parle, lieu par excellence de l’intimité, est un refuge salvateur autant qu’une prison. Elle est le prisme par lequel le monde extérieur est observé par le narrateur, dans une attitude défensive, autant que le mirador à partir duquel ce dernier souhaiterait s’élancer pour fuir l’oppressante réalité qui l’entoure. Room for a man n’est pas un film bavard. Chaque mot du narrateur semble même être soupesé avant d’être énoncé, comme pour mieux faire entendre le poids du silence, du tabou qui se love dans les pièces de la demeure familiale. Cette économie de la parole, cet effacement du narrateur, son retrait, ont aussi pour mérite de faire pleinement entendre les discours des autres personnages du film ; ceux de sa mère, de son oncle et dans une moindre mesure, de son père. La retenu du narrateur de Room for a man n’est qu’une porte entrouverte sur la violence qui se joue dans l’atmosphère confinée et étouffante des murs de la maison.

Sur scène : Marie-Anne Raulet, Malcolm Guy, Dorothy Todd, Hénaut et Erica Pomerance – © Fanny Belvisi

C’est enfin le film La Pesca, réalisé par Pablo Alvarez-Mesa et Fernando Lopez Escriva, qui a également retenu l’attention des festivaliers. Le documentaire capte la journée de travail d’un groupe de pêcheurs sur la côte caribéenne de Colombie. Derrière son apparente simplicité, La Pesca réussit à travailler la temporalité avec grâce et poésie. La caméra parvient parfaitement à saisir l’élasticité du rythme de la journée de ces hommes qui oscille, sans prévenir, entre attente et action, entre parties de dominos et capture des poissons. La précision des gestes répétés par les pêcheurs est source d’évasion et de rêverie. Elle arrache en tout cas cette journée particulière de travail à une temporalité précise et définie pour, au contraire, inscrire ces hommes et leur savoir-faire dans une forme d’éternité.

« En créant les RIDM, on a voulu changer le monde ! », reprend Malcolm Guy. A défaut de l’avoir totalement transformé, les Rencontres du documentaire ont en tout cas largement contribué à faire émerger et entendre des voix singulières. Cette 20ème édition réaffirmait d’ailleurs haut et fort les désirs et les motivations qui avaient présidé à la création de cette manifestation d’ampleur, toute entière dédiée aux documentaires et aux personnes qui avaient faim d’eux !

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