Il n’y a pas qu’en France que les festivals se multiplient en novembre… Avant l’IDFA à Amsterdam, ce sont les RIDM qui se tiennent du 8 au 18 novembre à Montréal. Un rendez-vous incontournable, et chaleureux… Nous avions discuté l’an passé avec Mara Gourd-Mercado, la directrice générale d’une manifestation qui fêtait alors ses 20 ans. Une excellente entrée en matière pour présenter cette 21ème édition… Propos recueillis en novembre 2017 par Fanny Belvisi.

Le Blog documentaire : Les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) viennent de s’achever. Quel regard portes-tu sur cette édition ? Quels étaient les attentes et les défis ?

Mara Gourd-Mercado : Dans la mesure où cette année, nous avons fêté la 20ème édition des RIDM, nous avions nécessairement des attentes plus élevées. Je trouve que ce qui a très bien fonctionné dans cette édition, c’est que beaucoup de salles étaient remplies, pas seulement avec des films québécois qui sont traditionnellement présents aux RIDM, mais aussi avec des films moins attendus, plus expérimentaux et plus difficiles à comprendre. Pour nous, c’est vraiment le signe que le public nous fait de plus en plus confiance. Les gens viennent aussi ici pour découvrir de nouvelles choses. Ils nous suivent dans cette démarche. Ils savent que même si nous avons choisi un film qui n’est pas forcément facile d’accès, ils feront une belle découverte ! C’est un très beau témoignage de l’immense travail réalisé par l’équipe de programmation.

Par ailleurs, les médias nous ont beaucoup suivis cette année. Ils ont été très présents en faisant la couverture de plusieurs films, en s’intéressant à l’histoire du festival et en regardant en arrière sur ce qui s’est fait et surtout, sur là où on s’en va ! Tout ça c’est un beau résultat pour une équipe qui a travaillé énormément.

Et puis, au-delà de tout ça l’ambiance a été très bonne ! Les cinéastes étaient là, ils ont participé, ils sont allés voir les films des uns et des autres, ils sont allés aux soirées. Ils n’étaient pas seulement là pour présenter leur film ; ils se sont intéressés à la manifestation. Il y a eu une vraie émulation qui, selon moi, était plus présente cette année. Cela fait un bon moment que l’on parle du renouvellement du documentaire et du fait que de nouvelles propositions, un nouveau langage, émergent. J’ai la sensation que cette année nous sommes arrivés à un point culminant avec des films vraiment très intéressants et très différents les uns des autres. Les RIDM sont reconnues pour leur programmation.

Comment travaillez-vous sur la programmation des RIDM ?

Aux RIDM, nous faisons un gros travail pour développer notre public tout au long de l’année. Nous sommes présents dans les écoles où nous présentons et décortiquons la programmation. Nous faisons ce travail dans les classes de politique, de philosophie, de journalisme. On ne se cantonne pas nécessairement aux étudiants de cinéma. On va vraiment plus loin et on essaie d’élargir toujours plus. Les RIDM ne sont pas un « gros » festival. Ce qui fait que les gens viennent chez nous, et ce qui fait notre différence, c’est que nous avons un bassin raisonnable de films. Cette année nous avions 142 films en sélection officielle ! Cela nous permet de les traiter chacun spécifiquement, individuellement, d’aller chercher un public pour chacun de ces films. Nous sommes vraiment un festival à échelle humaine. Les gens viennent chez nous pour se rencontrer et pour se parler. Il n’y a pas de laissez-passer VIP ici. Tout le monde va dans la même soirée, qu’on soit cinéaste, producteur ou membre du public. Cela fait une grande différence et le public comme les réalisateurs le sentent. Ils reçoivent un accueil chaleureux. L’équipe de programmation réussit à aller chercher des films qui ne viendraient pas nécessairement au festival, entre autres, grâce à cet aspect des RIDM.

Les réalisateurs et les invités sont nos meilleurs ambassadeurs. Ils viennent aux RIDM et vont ensuite dans d’autres festivals. Ils nous font de la publicité, juste parce qu’on s’assure qu’ils soient vraiment accompagnés. La qualité la programmation est une fierté pour un réalisateur. Il peut se dire : « Waouh, je fais partie d’une programmation assez pointue, d’un festival de niche, mais où le public est présent ! » Et ça, cela fait une différence…

Cette année, l’équipe de programmation était composée de six personnes, avec un directeur et un comité. Moi, je ne fais pas partie du comité de programmation. Par ailleurs, la communauté du documentaire à Montréal est très investie. Il y a un sentiment d’appartenance qui est très fort pour ces gens. Le festival, c’est un peu leur maison ! Ils sont eux aussi des ambassadeurs du festival.

 

Quelle est la spécificité des RIDM par rapport à d’autres festivals canadiens comme par exemple le festival « Hot Docs » qui se tient à Toronto ?

Hot Docs est un festival grand public, c’est leur spécificité et ils font ça super bien. Ils ont 300 films, ils ratissent donc très large et contribuent à leur façon à démocratiser le documentaire. Leur programmation est très bonne mais beaucoup moins « nichée » que la nôtre. Nous nous voyons comme des festivals complémentaires. Nous avons quelques films en commun mais une grosse partie de leur programmation ne viendrait jamais chez nous et inversement. Du point de vue du marché, nous incitons les jeunes réalisateurs à commencer par présenter leur projet de film ici, et dans un second temps d’aller tenter leur chance à Hot Docs. On se réfère mutuellement des gens.

Pour un réalisateur, il est donc plus « logique » de commencer par les RIDM ?

Oui, parce que nous sommes un festival à échelle humaine. Dans une certaine mesure, nous sommes une pépinière. Ceux qui vont ensuite à Hot Docs ont déjà un peu plus d’expérience, ils savent faire du pitch et peuvent embarquer dans une grosse machine. Il y a également un festival à Québec, le Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ), qui marche très bien et qui est porté par des anciens des RIDM. Nous avons également une très belle collaboration avec eux. Nous faisons des échanges promotionnels, ils nous aident parfois pour des copies de matériel. Nous travaillons beaucoup ensemble. C’est un festival encore jeune, il a 7 ans, mais il marche très bien.

Le documentaire au Canada connaît donc un réel engouement du public ?

On le voit ici, les salles sont pleines et beaucoup de personnes veulent consommer du documentaire. Le problème, c’est qu’aujourd’hui à Montréal, il reste très peu de cinémas qui diffusent des documentaires. Le peu de salles qui en diffusent encore font un super travail, mais ils sont eux-mêmes tributaires des gros distributeurs de films qui, en contrepartie d’un film documentaire, leur imposent trois blockbusters. Par ailleurs, on ne laisse pas au documentaire le temps de faire son chemin, de trouver son public. En trois jours, on ne peut pas s’attendre à ce qu’un film d’art et d’essai fasse un box-office de fou ! C’est impossible ! Le bouche-à-oreille n’a pas le temps de fonctionner. En plus, comme les grosses salles de cinéma veulent constamment supprimer les documentaires au profit des blockbusters, l’offre en salle est beaucoup moins diversifiée et cela n’incite pas le public à aller au cinéma. Je me rappelle du temps (pas si vieux que cela) où on pouvait débarquer dans certaines salles de cinéma du Montréal et où on était sûrs qu’il y aurait un bon film documentaire à voir. Ce n’est plus possible maintenant. Les gros distributeurs sont en train de tuer les salles et cette situation est dramatique pour les réalisateurs, pour les créateurs.

L’État n’a aucun impact sur les distributeurs appartenant à des compagnies privées. Je pense néanmoins que le gouvernement et des sociétés comme la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) ont un rôle à jouer et doivent réfléchir aux manières de revitaliser ce système. Et donc, les ciné-clubs poussent comme des champignons à Montréal pour compenser ce manque. Il y a un besoin qui est là, les gens sont prêts à suivre, mais il ne faut pas les prendre pour des imbéciles et présenter Spiderman dans 15 salles ! Quand tu coupes les budgets de production des documentaires locaux, et qu’après tu leur dis que ce n’est pas grave car il y a Netflix, c’est au contraire très grave ! La valeur de production de ces films étant souvent dix fois plus basse que celle des gros joueurs, il est très difficile pour eux de rentrer dans une plateforme telle que Netflix. Je pense qu’il faudrait revenir à un modèle avec des petites salles qui ont une programmation vraiment très réfléchie et qui accompagnent leur film, qui leur laissent le temps de respirer.

Mara Gourd-Mercado
Mara Gourd-Mercado

Vous êtes la directrice des RIDM depuis trois ans. Percevez-vous une accélération de cette évolution et de ce paradoxe où l’intérêt croissant du public pour le documentaire est presque proportionnel au déclin des salles de cinéma qui en diffusent ?

On sent l’engouement des gens pour le documentaire. Cela va en augmentant et, concernant les salles, nous en avons perdues deux en quatre ans. Cette année pour le festival par exemple, nous sommes allés projeter des films au Cinéplex, qui est un multiplexe du centre-ville. C’est une grosse salle, avec une autre atmosphère et il est plus difficile d’accompagner les films dans ce type d’endroit. Vraiment, j’insiste, mais je trouve scandaleuse l’attitude des gros distributeurs américains et canadiens qui rentrent ici comme un chien dans un jeu de quilles, et qui font pression sur les salles pour faire rentrer leurs blockbusters !

Quels rôles les RIDM peuvent/doivent-elles jouer face à une telle situation ?

Nous sommes une plateforme et, malheureusement, nous sommes pour beaucoup de films leur seul espace de diffusion, parce qu’après cela beaucoup d’entre eux n’auront pas de sortie en salles. Notre mission consiste donc à démocratiser le documentaire, à offrir un éventail de films au grand public, pour que celui-ci aille de plus en plus voir du documentaire, et in fine, en demande toujours plus. Cela finira peut-être par faire pression sur les salles. Nous nous voyons comme les partenaires des créateurs. Nous sommes là pour eux, pour mettre en valeur leur travail. Pour les films qui sortent en salles, nous faisons un vrai travail de promotion pendant l’année. C’est important pour nous de les accompagner au-delà du festival.

Entre les RIDM et le Doc Circuit Montréal, nous invitons entre 20 et 40 diffuseurs, producteurs, acheteurs et programmateurs chaque année. Nous les mettons également dans les jurys pour être sûr que le cinéma local puisse rayonner.

Comment se manifeste la précarisation des réalisateurs et de leur statut au Canada ?

Beaucoup d’entre eux sont obligés de faire des métiers à côté. Je ne saurai pas dire aujourd’hui qui est capable de vivre du documentaire. Tous les réalisateurs font à côté pleins de choses, que cela soit du « corporatif » ou de la commande. Faire du documentaire est devenu un hobby. Le documentaire, c’est une activité que tu fais « à côté ». Ce n’est plus ton activité principale. Un film qui devrait être fait en cinq ans ou six ans, on t’oblige à présent à le faire en deux ans. Ce qui fait que certains documentaires sont peut-être moins intéressants ou moins aboutis. Cela devient un luxe. Nous sommes dans une époque qui vit sous la dictature des chiffres et des statistiques. À un moment donné, ce positionnement recoupe d’autres problématiques : est-ce que la culture et les créateurs sont importants pour toi ? Ce sont ces questions et ces réponses qui révèlent les décisions du gouvernement. C’est bien beau les chiffres et combien ça rapporte, mais la culture ce n’est pas que cela…

Au début de cet entretien tu nous disais que la presse s’était intéressée cette année à l’avenir du festival et à « où est-ce qu’il s’en allait ».  Justement, quels chemins les RIDM prennent-elles ? Qu’avez-vous en tête pour les années à venir ?

Pour nous, le volet concernant la médiation culturelle et le développement du public est vraiment très important. Nous voulons continuer à aller plus loin en cherchant des gens qui ne viennent pas encore au festival. Par exemple, nous avons encore du travail à faire pour amener les nouveaux arrivants à participer à notre événement, les jeunes issus de la diversité.

J’espère aussi tout simplement que l’on va pouvoir continuer à mettre en place les RIDM en préservant la même qualité. Il ne s’agit pas juste de présenter des films, mais de pouvoir le faire dans de bonnes conditions, dans un contexte favorable. Chez nous aussi, le budget diminue d’années en années et cela a forcément un impact sur l’organisation du festival. Aujourd’hui, les RIDM sont financés par le gouvernement ainsi que par des partenaires privés. Nous comptons aussi beaucoup sur les collaborations à l’international. Nous avons des échanges avec différents festivals comme DOK.fest Munich ou le Sunny Side of the Doc, mais aussi des collaborations avec des délégations, comme cette année avec la délégation danoise et le Danish Film Institute. Nous essayons de pallier le problème du financement en allant chercher des partenaires à l’extérieur. L’avantage, c’est que cela permet aussi d’attirer de nouveaux publics et de mutualiser les énergies. Je pense que les perspectives pour le documentaire sont bonnes car il y aura toujours des choses à dire. Ce qui est plus critique, ce sont les conditions dans lesquelles ils seront présentés et créés.

Cette situation est d’autant plus critiquable que nous sommes à Montréal, une ville vendue à l’international comme étant un hub de créativité. L’image est merveilleuse, mais moi je trouve scandaleux que l’on se fasse du capital politique sur Montréal et ses créateurs, et qu’après tout ce monde-là crève de faim. Ce double discours est difficile à supporter, tout comme le fait que le secteur privé s’approprie tranquillement le secteur culturel et le secteur de la création, et que personne ne dise rien. Si tu prends aux créateurs leurs images, qu’est-ce que tu leur laisses ou qu’est-ce que tu leur rends en retour ? Pour le moment, l’échange est toujours à sens unique.

Propos recueillis par Fanny Belvisi

Plus loin

– Benjamin Hogue : Les batailles de l’Observatoire du documentaire au Canada

– RIDM 2017 : Premières impressions sur la 20ème édition du festival montréalais

– Réalité documentaire vs. vérité journalistique : Trois points de vue en discussion aux RIDM 2016

– Aux RIDM 2016, un laboratoire collaboratif pour sonder les rouages de la création

– Aux RIDM 2016, le « Cuban Hat » revigore encore la traditionnelle séance de pitch

– RIDM : 5 webdocumentaires projetés en public à Montréal

– Cinq pépites documentaires découvertes aux 20èmes Rencontres de Montréal

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *